L’histoire d’un tournage d’Alfred Hitchcock au Québec

Passionné d’histoire et de patrimoine, l’auteur et conférencier Sylvain Daignault a lancé aux Éditions Broquet un ouvrage, Québec Insolite, qui revient sur des événements méconnus ou oubliés de l’histoire du Québec. Son blogue quebecinsolite.wordpress.com fait partie des recommandations d’INFOSuroit. Fier de collaborer avec le média régional collaboratif, Sylvain Daignault livre ici un texte concernant le tournage d’un film de Alfred Hitchcock au Québec. Bien que le tournage se passe bien, une déplaisante surprise attend le maître du suspense lors de la première du film à Québec en février 1953. De quoi s’agit-il?

De gauche à droite : Roger Dann, Renée Hudon, Anne Baxter, Alfred Hitchcock et Carmen Gingras.

En 1951, Alfred Hitchcock cherche un lieu de tournage pour son nouveau film I Confess (La loi du silence). Il veut un endroit où les prêtres catholiques se promènent encore en soutane. Après avoir songé à l’Irlande, le maître du suspense choisit la ville de Québec. Le tournage du film débute en 1952. Une chance incroyable pour deux jeunes filles, Renée Hudon, 10 ans, et Carmen Gingras, 14 ans, choisies pour interpréter des personnages importants dans l’histoire.

La loi du silence met en vedette les acteurs américains Montgomery Clift (le père Logan), Karl Malden (l’inspecteur Larrue) et Anne Baxter (Ruth Grandfort) et l’Allemand Otto Eduard Hassecet (Otto Keller).

D’autres acteurs québécois sont aussi de la distribution, dont Gilles Pelletier (frère Benoît) et Oliva Légaré (Villette).

Intrigue

Le film raconte l’histoire d’un homme revêtu d’une soutane qui abat un avocat pour lui dérober son argent. Peu après, le meurtrier se confesse auprès du père Michael Logan sur lequel se portent immédiatement les soupçons quand deux fillettes (Gingras et Hudon) l’identifient comme étant le meurtrier. Mais lié par le secret de la confession, le père Logan se tait!

Audition

À la recherche de deux fillettes pour tenir les rôles des témoins, des auditions ont lieu au Château Frontenac. Trois cents fillettes défilent les unes après les autres.

Finalement, deux sont choisies : Carmen Gingras et Renée Hudon.

Renée Hudon, à gauche, et Carmen Gingras, à droite, écoutent les directives du réalisateur Alfred Hitchcock juste avant une scène.

« Soyons clair! Je n’étais pas plus fine ou meilleure que les autres, précise Mme Hudon, aujourd’hui âgée de 79 ans. L’une des raisons pourquoi j’ai eu le rôle, c’est parce que j’étais parfaitement bilingue. Je pouvais donc suivre sans problème les instructions d’Hitchcock. Ma grand-mère maternelle était d’origine écossaise et c’est elle qui m’avait appris l’anglais. »

Tournage

Le tournage des scènes extérieures débute le 20 août 1952 à Québec. Des centaines de figurants sont aussi utilisés pour les besoins du film. Parmi les lieux qui seront utilisés, mentionnons le Quartier latin, la place Royale, l’île d’Orléans, Limoilou et le traversier Louis-Jolliet. Une fois toutes les scènes extérieures filmées, l’équipe prend la direction d’Hollywood où les scènes intérieures sont filmées.

Hollywood

La jeune Renée passe à deux doigts de ne pas être du voyage. Craignant qu’elle y perde son âme, la directrice de son école ne se laissera pas convaincre facilement.

Mais la situation se débloque finalement et Renée et Carmen se rendent à Hollywood. « C’était génial! Mon père était avec moi. À la cafétéria du studio, il a dîné avec John Wayne! Imaginez! Nous nous sommes baignés dans la piscine de Bob Hope. C’était vraiment fantastique! »

Hitchcock

Réputé pour son sale caractère, surtout à l’endroit des acteurs et des actrices, Renée Hudon n’a pourtant que de bons mots pour Alfred Hitchcock.

« Il nous prenait sur ses épaules. Il était toujours gentil avec nous. »

Son père lui a raconté quelques années plus tard qu’il avait vu Hitchcock piqué une colère terrible quand l’actrice Anne Baxter était arrivée sur le plateau de tournage vraisemblablement après une soirée bien arrosée.

Il faut dire que Baxter n’était pas le premier choix d’Hitchcock pour le rôle. Le maître du suspense aurait préféré Anita Björk ou Olivia de Havilland.

Première

La première du film La Loi du silence a lieu au cinéma Capitole de Québec le 12 février 1953. Elle a été précédée le même jour d’une avant-première au cinéma Cartier. Une haie d’honneur composée de militaires permet aux stars d’effectuer une entrée triomphale, sous le regard heureux du public qui tend le cou pour avoir la chance d’admirer les vedettes. Hitchcock est tout sourire.

« Anne Baxter m’a tenue par la main. Elle était vraiment gentille », affirme encore avec émotion Mme Hudon.

Mauvaise surprise

Durant la projection, le sourire du réalisateur britannique disparait peu à peu. Hitchcock se rend compte que l’une des scènes les plus importantes du film, celle dans laquelle les fillettes identifient le père Logan comme étant le meurtrier, a été retranchée – censurée – par le Bureau de censure des vues animées de la province de Québec.

Ces scènes sont censurées car au Québec, les enfants de moins de 16 ans ne peuvent pas témoigner en cour à cette époque. Il manque au total deux minutes 37 secondes au film. Après le visionnement de son film lors de la première, Hitchcock jure de ne plus jamais revenir dans cette maudite ville catholique. Il tiendra promesse.

Bureau de censure des vues animées

Entre 1913 et 1967, le Bureau de la censure du Québec interdit plus de 6 000 films sur son territoire. Un nombre encore plus élevé de films sont amputés de scènes jugées trop osées, trop violentes ou contraires à la moralité publique. Souvent, tant de scènes sont censurées que le film devient incompréhensible pour les spectateurs. Que voulez-vous? Il faut bien protéger les Canadiens-français des idées subversives.

Aux États-Unis, le code Hays (1934-1966) impose également aux réalisateurs un code moral des plus sévères. À titre d’exemple, dans les scènes où un couple marié se met au lit, c’est toujours dans deux lits jumeaux séparés par une table de chevet. Changement de mentalités oblige, les ciseaux de la censure se brisent au Québec quand est créé en 1967 le Bureau de surveillance du cinéma, devenu en 1983, la Régie du cinéma.


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