La conciliation travail-famille au parlement

Anne_Quach-a-la Chambre-des-Communes-a-Ottawa-Photo-courtoisie(Anne Minh-Thu Quach) – Dans les prochaines semaines, une nouvelle étape de ma vie va commencer, une étape qui risque de chambouler mon existence encore plus que mon passage en politique. En effet, cette enseignante du secondaire devenue députée fédérale va maintenant ajouter à la liste de ses rôles celui de mère.

Depuis que j’ai annoncé ma grossesse, le nombre de gens qui se sont confiés à moi m’a surprise. Si ma “bédaine” fait jaser, ce n’est pas tant ma vie personnelle qui intéresse celles et ceux qui me parlent, mais plutôt la façon dont j’entends trouver un juste équilibre entre mon travail parlementaire et ma vie de famille.

Des femmes de la circonscription ainsi que mes collègues m’ont partagé leurs diverses tentatives de se frayer un tel parcours. Je dis tentatives, parce que, bien malheureusement, atteindre cet équilibre est plus facile à dire qu’à faire.

On dénonce souvent le fait qu’il y ait peu de femmes en politique, surtout au niveau fédéral: à Ottawa, les femmes ne représentent qu’un quart de tous les députés. Aussi basse soit-elle, cette proportion est tout de même un record – un record qui a d’ailleurs été atteint grâce aux efforts du NPD pour permettre à davantage de femmes d’accéder aux officines du pouvoir.

Lors des élections fédérales de 2011, plus du tiers des candidats néo-démocrates étaient en fait des candidates. A la suite de la vague orange qui a déferlé en 2011, nous sommes devenus le caucus avec le plus grand nombre de femmes dans l’histoire du Parlement canadien, soit 40% de notre députation.

Le cliché veut que la conciliation travail-famille ait un effet dissuasif sur les femmes en politique. Bien que cette critique se veut simplette, et fasse abstraction d’un nombre ahurissant d’autres facteurs poussant le genre féminin à délaisser le monde politique, il est tout de même vrai que ce n’est pas l’environnement le plus propice pour devenir nouvelle maman.

Effectivement, pour un député, les journées de travail à la Chambre des communes peuvent bien être longues, surtout lorsqu’on siège jusqu’à minuit. Les fins de semaine en circonscription sont tout aussi remplies d’activités et d’évènements avec ses concitoyens.

D’autre part, la triste réalité est qu’Ottawa demeure la chasse gardée des hommes. On n’a qu’à penser au commentaire désobligeant du ministre de la Justice, Peter Mackay, lorsqu’il a été questionné sur les raisons pour lesquelles le gouvernement conservateur ne nomme pas davantage de femmes à la Cour suprême. Le ministre conservateur a répondu qu’elles étaient trop liées à leurs enfants.

Mais si l’état d’esprit qui domine trop souvent à Ottawa est déplorable, je ne veux pas pour autant m’apitoyer sur mon sort. J’ai l’immense privilège de compter sur des collègues qui se montrent tout aussi coopératifs que compréhensifs, à commencer par notre chef, Thomas Mulcair.

Ce ne sont cependant pas toutes les Canadiennes qui peuvent compter sur un milieu de travail qui, à défaut d’être adapté aux nouvelles mères, se veut à tout le moins conciliant. Partout au pays, des millions de femmes doivent toujours faire le grand écart entre carrières et familles et tenter tant bien que mal de ne pas négliger ni une ni l’autre.

En effet, plusieurs études de Statistiques Canada démontrent que, malgré le fait qu’il y ait de plus en plus de femmes sur le marché du travail, elles accomplissent toujours une majorité des tâches domestiques et forment en grande partie les aidants naturels. Même si notre société continue d’évoluer, il reste que la division du travail retient certains aspects traditionnels, ce qui en soi n’est pas négatif. Là où ça devient problématique, c’est quand une avocate, une infirmière ou toute autre femme est confrontée à devoir choisir entre sa carrière et sa famille.

Cette réalité comporte également une composante économique. Face à des milieux de travail qui ne sont pas très flexibles ni favorables à une conciliation travail-famille, de plus en plus de femmes se rabattent sur l’option du travail autonome, qui leur permet au moins de gérer leurs horaires.

Selon un rapport de la CIBC, de 1990 à 2005, le nombre de travailleuses autonomes a augmenté de plus de 50% alors que le nombre de femmes salariées a connu une hausse de 30% pendant la même période -et ces chiffres continuent d’augmenter.

Une carrière en tant que travailleuse autonome offre une flexibilité aux femmes qui se trouvent difficilement ailleurs, et ce ne sont évidemment pas toutes les travailleuses autonomes qui choisissent cette voie pour des raisons familiales. Cependant, avec cette flexibilité vient souvent une insécurité salariale. Selon Industrie Canada, 50% des travailleuses autonomes gagnent moins de 20 000 dollars par année et se disent insatisfaites, notamment en raison des fluctuations du revenu et de l’exclusion aux programmes de sécurité sociale, comme l’assurance-emploi et la prestation de maternité. En fait, une étude de Statistiques Canada a démontré qu’une travailleuse autonome sur trois est retournée au travail moins de deux mois après avoir accouché, alors que seulement 5% des femmes salariées ont fait la même chose.

Ces problèmes ne datent pas d’hier, et j’en étais déjà consciente au moment de mon élection. Toutefois, depuis que je porte en moi un bébé que j’ai bien hâte de tenir dans mes bras, ces complications pour mes consœurs canadiennes sont devenues beaucoup plus criantes de vérité.

C’est avec des yeux nouveaux que je pense à celles qui vivent avec des pressions indues de leur employeur pour revenir au travail plus vite ou carrément pour ne pas devenir enceintes, à celles dont les ambitions professionnelles sont sacrifiées sur l’autel de la conciliation travail-famille, à celles qui composent avec des milieux de travail qui ne les épaulent pas suffisamment. Les politiques publiques ont fait un bout de chemin pour appuyer ces femmes, mais la route à parcourir est encore très longue.

C’est aussi pour ça que la diversité de la représentation politique compte. Quand les Québécois ont envoyé à Ottawa un caucus de tous les âges et considérablement féminin — à des années-lumière des clichés traditionnels — ils ont choisi de faire entendre leur voix, celle des Québécois et des Québécoises, qui vivent cette réalité tous les jours.

Loin de moi l’idée de comparer mon expérience somme toute privilégiée avec celle des femmes qui ont des difficultés à joindre les deux bouts. Mais avec mes collègues néo-démocrates Rosane Doré Lefebvre, Lysane Blanchette-Lamothe et Sana Hassainia, qui ont toutes eu ou qui s’apprêtent à avoir un enfant tout en siégeant au Parlement, nous apportons à cette Chambre une perspective de nouvelles mères, solidaires avec toutes les nouvelles mères canadiennes, quelles que soient les circonstances.

Cela a déjà commencé à porter fruit. Le NPD a en effet profité des derniers mois pour déposer des projets de loi ou des motions visant à aider les femmes enceintes visées par un retrait préventif, à implanter un crédit d’impôt pour le transport scolaire à l’heure du diner, à accroître le nombre de femmes sur les conseils d’administration, à instaurer des prestations spéciales d’assurance-emploi pour les parents d’enfants malades nécessitant des soins à l’extérieur de leur région et à abolir la TPS sur les produits d’hygiène féminine.

J’entends bien, au cours des prochains mois, redoubler d’ardeur pour que le gouvernement fédéral adapte des règles et des lois pour épauler les futures mamans. Rien n’est plus redoutable qu’une mère déterminée à foncer.

Si, toutes ensemble, nous joignons nos voix, nous saurons assurer à nos filles, nos nièces, nos petites-filles, la possibilité de conjuguer passion professionnelle et désir de fonder une famille.


Anne Minh-Thu Quach

Députée de Beauharnois-Salaberry à la Chambre des communes

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Vous pouvez lire ou relire les billets précédents d’Anne Quach :

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