Cour suprême et destruction du Registre des armes à feu

Simon Vincent chroniqueur judiciaire INFOSuroit_com Photo courtoisieSimon Vincent signe des chroniques sur l’actualité judiciaire depuis le début mars sur INFOSuroit.com. Le chroniqueur originaire de Salaberry-de-Valleyfield détient un baccalauréat en Droit, ainsi qu’un baccalauréat en Philosophie politique.

Dans ses billets, Simon Vincent réagit à la manière dont les tribunaux se prononcent sur des questions sociales importantes. Voici son nouveau texte : Cour suprême et destruction du registre des armes à feu :

(Simon Vincent) – En 1995, le Canada s’est doté d’un registre complet des armes à feu. Ce nouveau registre forçait dorénavant les propriétaires d’armes d’épaule à obtenir un permis et à enregistrer leur arme, au même titre que les propriétaires d’armes à utilisation restreinte.  Les propriétaires qui refusaient l’enregistrement se retrouvaient en infraction criminelle.

Depuis leur élection en 2006, les conservateurs ont manifesté à maintes reprises leur intention de se débarrasser du registre. Ceux-ci estimaient qu’il était trop coûteux, qu’il imposait des procédures trop lourdes aux propriétaires d’arme d’épaule et qu’il représentait une intrusion indue dans leur vie privée.

En 2012, les conservateurs sont donc passés à l’action et ont adopté un projet de loi qui abolissait les règles entourant l’enregistrement des armes d’épaule. Avant son adoption, le Québec avait ouvertement manifesté son intention de créer son propre registre, et exprimé le désir d’obtenir les données que contenait le registre fédéral. Or, surprise : la version finale du projet de loi des conservateurs prévoit la destruction des données du registre ! Le Québec a aussitôt contesté cette mesure devant les tribunaux.

La décision de la Cour suprême a finalement été rendue vendredi dernier. Sur les neuf juges, cinq ont donné raison au gouvernement fédéral, alors que quatre appuyaient la position du Québec. Au final, les données seront donc détruites.

Pour bon nombre de Québécois, chez qui le registre jouissait d’un très fort appui, il s’agit d’une décision hautement controversée : pourquoi vouloir à tout prix détruire les données du registre ? Pour comprendre la décision de la Cour suprême, il faut garder en tête que la question à savoir si la destruction est une bonne chose ou non ne concerne pas les tribunaux. Leur travail consiste à déterminer si Parlement fédéral a la compétence pour détruire le registre.

La position des cinq juges majoritaires est très simple : si le Parlement avait la compétence de créer le registre, il pouvait aussi l’abolir. Le Parlement peut adopter des lois sur tous les sujets pour lesquels il a la compétence de légiférer. En conséquence, il peut décider seul, sans consulter les provinces, du sort qui adviendra des données qu’il a colligées en vertu d’une loi qu’il a lui-même adoptée. Le fait que sa décision nuise au Québec dans sa volonté de créer son propre registre n’a donc pas d’importance.

Quant à eux, les quatre juges dissidents soutiennent que les données du registre des armes d’épaule ont été recueillies en partenariat avec le Québec, et que le Parlement fédéral ne peut les détruire sans le consulter. Le Québec finançait en partie le registre et nommait un contrôleur qui s’assurait de son application sur son territoire. Les policiers québécois utilisaient aussi quotidiennement ses données.

Si le Parlement veut abolir le registre, il doit donc tenir compte des impacts sur ses partenaires. Il en va du principe du « fédéralisme coopératif ». Dans le cas présent, non seulement n’a-t-il pas tenu compte de la volonté du Québec de créer son propre registre des armes d’épaule, mais il a volontairement cherché à lui nuire en détruisant les données. Pour cette raison, les juges dissidents soutiennent que le gouvernement aurait dû proposer au Québec de récupérer les données du défunt registre.

En bout de ligne, c’est un point de droit très technique qui a tranché le débat : le principe du fédéralisme coopératif ne peut restreindre le pouvoir du Parlement d’adopter ou d’abroger des lois. Au plan juridique, il y aurait mille et une choses à dire à propos d’une telle décision. Mais sa principale conséquence sera la suivante : le Québec devra débourser des sommes considérables afin de reconstituer la banque de données du registre. Rien pour réconcilier le Québec avec le fédéralisme…

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Vous pouvez lire ou relire les chroniques judiciaires précédentes de Simon Vincent :

 

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Une réponse à "Cour suprême et destruction du Registre des armes à feu"

  1. Jean-Paul Mercier dit :

    «Les policiers québécois utilisaient aussi quotidiennement ses données.» En fait, à chaque fois qu’un policier utilise son ordinateur d’auto-patrouille et entre le numéro du permis de conduire d’un particulier, le policier est informé si le citoyen a un permis de possession et d’acquisition d’armes à feu et s’il a des armes enregistrées. C’est tout. Le registre des armes sans restriction ne sert donc pas à grand chose et ne permet pas vraiment de protéger le public. La question du «Fédéralisme coopératif» et du droit du Québec a récupérer les données de l’ancien registre, c’est une autre question. Pour ce qui est de l’unanimité au Québec face au registre des armes longues, elle se trouve à l’Assemblée Nationale et non parmi sa population qui est divisée sur la question. Il ne faut pas oublier que la majorité des crimes par armes à feu sont le fait des groupes criminalisés qui ne feront jamais enregistrer leurs armes à feu, évidemment…

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