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Judiciaire – Perdre son emploi pour une blague de mauvais goût

Simon Vincent chroniqueur judiciaire INFOSuroit_com Photo courtoisieSimon Vincent signe des billets en lien avec l’actualité judiciaire sur INFOSuroit.com. Le chroniqueur originaire de Salaberry-de-Valleyfield détient un baccalauréat en Droit, ainsi qu’un baccalauréat en Philosophie politique. Voici son nouveau texte : Pourriez-vous perdre votre emploi pour une blague de mauvais goût :

(Simon Vincent) – En fin de semaine dernière, en marge d’un match de soccer à Toronto, Shauna Hunt, journaliste de City News, était en train de faire un vox pop en direct avec les partisans de l’équipe. Alors que celle-ci posait une question, un homme s’est interposé devant la caméra, a agrippé son micro, a crié : « f*ck her right in the p*ssy! » et s’est sauvé immédiatement. Je vous épargne la traduction.

Il faut savoir que ce genre de blague est depuis quelques mois une tendance très répandue aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Des hommes surprennent des femmes journalistes, alors qu’elles sont en direct, pour crier cette grande phrase d’esprit et les déstabiliser. YouTube est rempli de vidéos du genre.

Or, la journaliste n’entendait pas se laisser faire. Celle-ci a interrompu son vox pop pour tenter d’interpeller l’homme qui venait de lui lancer la phrase. Elle s’est finalement retrouvée devant un groupe d’hommes qui semblaient de connivence avec lui. Mme Hunt leur a alors demandé pourquoi ceux-ci avaient tant besoin de lancer de telles insanités dégradantes envers les femmes : « Parce que c’est hilarant! », s’est exclamé l’un des hommes, Shawn Simoes. La journaliste lui a ensuite demandé ce que sa mère en penserait si elle le voyait : « Oh, ma mère se tordrait de rire! », s’est-il empressé d’ajouter.

Beaucoup de femmes, écœurées de voir des hommes se livrer à ce canular sexiste, ont vu la journaliste comme une héroïne. La vidéo de l’entrevue de Shauna Hunt avec Shawn Simoes est ensuite devenue virale sur les médias sociaux.

L’histoire a toutefois pris une tournure différente par la suite. M. Simoes s’est fait congédier par son employeur Hydro One (l’équivalent ontarien d’Hydro-Québec) parce que son comportement n’était pas conforme au code de conduite de la compagnie.

Son congédiement a surpris plusieurs personnes. Pour certains, la phrase n’est rien d’autre qu’une blague certes puérile, mais qui n’a rien de sexiste et qui n’a même pas été faite sur le lieu de travail.

Il faut savoir deux choses. Premièrement, le fait que l’entrevue ait été faite en dehors du lieu de travail n’exonère pas complètement M. Simoes. Dans une affaire survenue au Nouveau-Brunswick, un enseignant écrivait régulièrement des dépliants et des lettres ouvertes dans les journaux où il tenait des propos discriminatoires et racistes envers les juifs. Il a finalement été congédié, parce que ses opinions étaient devenues notoires chez les élèves et avaient « empoisonné » le climat à l’école. La Cour suprême avait confirmé son congédiement.

Deuxièmement, on ne peut pas se cacher derrière la liberté d’expression pour proférer des remarques sexistes en public. La liberté d’expression est un droit fondamental, mais elle ne protège pas toutes les formes d’expression. À mon humble avis, la phrase « f*ck her right in the p*ssy! » ne fait pas partie des valeurs fondamentales que cherche à protéger la liberté d’expression (!).

L’histoire de Shawn Simoes est évidemment survenue en Ontario, où les normes du travail ne sont pas les mêmes qu’au Québec. Mais est-ce qu’un travailleur qui aurait tenu les mêmes propos, dans le même contexte, aurait pu perdre son emploi si l’affaire était survenue ici?

Au Québec, un employeur qui désire vous congédier doit invoquer une « cause juste et suffisante ». Cette expression n’est pas définie précisément et varie en fonction contexte entourant le congédiement.

Par exemple, le fait d’occuper un poste où vous êtes souvent appelés à représenter l’image de la compagnie pour laquelle vous travaillez peut jouer contre vous. De la même manière, si vous travaillez souvent avec des femmes, tenir des propos sexistes et dégradants publiquement nuira certainement à l’ambiance de travail et forcera votre employeur à remédier à la situation.

D’un autre côté, vous pourriez vous défendre en disant qu’il ne s’agissait que d’une blague, et que, par ailleurs, ce n’est pas vous qui l’avez dites. Aussi, en droit du travail, un employeur doit tenir compte du principe de la « progressivité des sanctions ». Pour une première offense, une sanction plus appropriée peut être une obligation de présenter des excuses ou une suspension, mais pas un congédiement.

Ainsi, il n’y a pas de réponse prédéterminée à la question. C’est le contexte qui dictera s’il y avait une cause juste et suffisante de congédiement. Par contre, je sais une chose : le fait de n’avoir jamais eu l’intention d’être sexiste n’est qu’un élément parmi tant d’autres qui peuvent être pris en considération. Il ne peut excuser à lui seul un tel comportement.

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Vous pouvez lire ou relire les chroniques judiciaires précédentes de Simon Vincent :

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